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Le journal de Reda Slaoui et d'Agadir
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Le journal de Reda Slaoui et d'Agadir
2 novembre 2005

Hip hop sans frontieres

Ils ont connu les heures où, hors des cités, le hip-hop n’avait pas droit de cité. Début octobre, les membres de la compagnie Salama partent à la conquête des scènes françaises. Récit d’une aventure partie de Ain Sebaâ et de Sidi Othmane.


Ils sont huit : sept garçons, une fille, entre 20 et 30 ans. Cela fait maintenant plus de quatre heures qu’ils s’échauffent sous le chapiteau de l’Institut français. En dépit des chocs et des chutes, les rires résonnent, les rythmes claquent et les commentaires fusent. Membres de la compagnie Salama,

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première compagnie marocaine professionnelle de création chorégraphique en danse hip-hop, ces B-boys et leur unique B-girl enchaînent sans discontinuer pass-pass (jeux de jambes, rotations au sol avec les pieds) véloces, vrilles ébouriffantes ou encore flips salto impressionnants, le tout d’un niveau digne des derniers JO d’Athènes. Si chacun y va de son petit commentaire perso à l’adresse du voisin, c’est pour atteindre le mouvement parfait. Car tous ont en tête le challenge qui les attend dans deux semaines. Pour la première fois, des jeunes breakers de Casablanca partent pour une tournée de deux mois en France. Où ils se confronteront aux meilleurs groupes de hip-hop hexagonaux et européens, voire à ceux qu’ils admirent. Pour eux, cette tournée signifie : montrer au plus grand nombre, aux fins connaisseurs comme aux plus néophytes des amateurs, leur création, "Aladin". Une création qui a déjà fait le tour du Maroc cette année, avec succès. Et qui a remporté cet été un premier prix à Lausanne. Cette fois, Salama part au Havre, à Paris mais aussi au festival des "Francophonies" de Limoges et surtout aux "Rencontres urbaines de la Villette", délocalisées à Lille cette année. Ce dernier nom n’évoque sans doute rien pour les profanes. Pourtant, les breakers savent qu’il s’agit ni plus ni moins DU rendez-vous incontournable de la scène hip-hop française. Sans doute ce qui fait dire à Redouane, le leader de Salama, "c’est ce qu’on pouvait espérer de mieux, puisque c’est ce qui se fait de mieux en termes de création". Le même d’avancer : "Ce sera peut-être le plus grand moment de notre vie artistique". Gageons que leur création, chorégraphiée par un des danseurs phares de la scène actuelle, José Dos Santos, soutenue par l'IF de Casablanca, ne laissera personne indifférent. Mélant hip-hop, breakdance, danse contemporaine, voire capoeira aux chants de Nass El Ghiwane ou aux rythmes endiablés de la Dakka marrakchia, "Aladin" démontre toute la création et le talent d’une jeunesse qui ne demande qu’à être soutenue. Car, avant d’arriver à ce que tous ressentent comme "une reconnaissance de leur travail", Manahelle, Abdelilah, Hamid, Bousselham, Mohamed, Rachid, Badr et Redouane auront connu ces heures où, hors des cités, le hip-hop n’avait pas droit de cité.
Salama est le fruit d’une fusion entre deux groupes, l’un de Aïn Sebaâ, l’autre de Hay Salama à Ben M’sik Sidi Othmane. Ce qui les a séduits dans le hip hop ? "C’est une culture qui se bat contre toutes les énergies négatives, elle valorise l’individu". Pour Redouane, elle répond aux besoins d’expression de la jeunesse des quartiers, "le hip-hop, né dans les quartiers pauvres des grandes villes, répond aux problèmes de violence. C’est pour ça qu’il est si populaire dans les quartiers. D’ailleurs, si à Casa le mouvement n’est pas nouveau, il ne cesse de se démultiplier : d’un côté, il y a un besoin de plus en plus pressant de s’exprimer, tandis qu’en parallèle, la scène se développe". Si le discours est aujourd’hui rodé, il n’a pas toujours été facile de le faire passer.
Redouane a ainsi fait un break de 6 ans quand il a intégré la fac. Juste le temps pour lui de rassurer ses parents et de décrocher… un doctorat en maths appliquées. Rien que ça ! Et accrochez-vous parce que le thème de sa thèse, soutenue avec succès il y a deux ans, a de quoi donner quelques sueurs froides à tout réfractaire aux mathématiques : "contribution des approxima quadratifs dans la méthode asymptotique numérique : application aux calculs de structures" (sic !). Pour Manahelle, s’il a aussi fallu dealer avec ses parents pour continuer de breaker en bas de l’immeuble, ils ne furent pas les plus difficiles à convaincre. Pour elle, pas d’autres choix que celui de s’imposer dans la rue, univers viril s’il en est. "Au début, je me déguisais en garçon. Je couvrais mes cheveux avec un bonnet, je revêtais le survêt ample de rigueur pour tout breakeur qui se respecte. Mais un jour, mon bonnet est tombé et les autres ont vu ma natte. J’ai alors été rejetée par les mecs du quartier. Pour eux, une fille c’est bon pour les études ou la maison. Moi, j’ai vécu ça comme un challenge". Pari gagné pour l'unique B-girl de la troupe. Manahelle a été trois fois championne du Maroc et a obtenu la 2ème place cet été lors des championnats du monde série féminine.
Quoiqu’il en ait coûté à chacun, les garçons du groupe évoquent, unanimes, les difficultés inhérentes au tabou qui entoure la danse. Pour eux, le hip-hop correspond, outre à une dynamique, un rythme, une culture qui leur parlent, à une image valorisante et valorisée dans les quartiers. "Mon père est très strict, témoigne Hamid. Pour lui, non seulement la danse ne mène à rien mais en plus elle vous attire une sale réputation. J’ai fait un stage de danse contemporaine, j’ai travaillé avec beaucoup de danseurs. C’est vrai que j’ai appris beaucoup de choses avec eux, les portées, les regards, la souplesse, mais ça restait trop mal vu dans les quartiers. Au moins, avec le hip-hop, que je vois plus comme un sport qu’une danse, je suis tranquille". Même son de cloche chez Abdelilah. Après deux ans de danse classique "plus par hasard que par choix", il se met à la danse folklorique. "Ça marchait pas mal pour moi, j’ai même fait plusieurs télés, mais j’entendais toujours mes copains se moquer de moi, me traiter d’homo…". Jusqu’à ce qu’il se présente à un atelier de hip-hop et qu’il trouve enfin un moyen d’expression qui lui convienne sans pour autant entacher sa précieuse virilité.
Comme il n’existe aucune structure, hors les rares cours de danse contemporaine, "on se retrouvait dans la rue", raconte Redouane. C’est là qu’ils se défient, s’essayent aux nouveautés vues sur Internet ou sur vidéos ramenées d’Europe ou des États-Unis par des copains, des cousins… "Plus tu maîtrises de mouvements, plus tu assures, certifie Redouane. C’est comme le vocabulaire, plus tu en as, plus tu peux exprimer d’idées". Chacun cherche à forger son propre style, "le plus important dans le hip-hop, car les figures, après tout, ce n’est que de la technique", avance Hamid. Les uns préfèrent la compétition et participent à de furieuses "battles", rencontres festives ritualisées comme des combats, où des danseurs s’affrontent par la danse, en groupe ou individuellement. D’autres y cherchent surtout un moyen d’expression, de création. "Je ne sais pas parler, enchérit Manahelle, mais quand je danse, je transmets un message". Et contrairement à l’image négative que traîne derrière lui le sulfureux hip-hop, les valeurs de son message sont éminemment positives. Elles pourraient se résumer, comme l’explique Redouane par "le respect de l’autre, l’égalité, l’esprit compétitif, pas d’alcool, pas de drogue". Un corps sain dans un esprit sain, en somme.
Aujourd’hui, certains ont déjà commencé à enseigner la danse. Mais tous espèrent, comme Manahelle, qu’avec cette tournée, "le style casablancais sera reconnu et que le monde du hip-hop va s’ouvrir".
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